
La fermeture d’entreprises transfrontalières soulève des questions complexes en matière de droit du travail international. Les salariés se trouvent souvent dans une situation précaire, confrontés à des législations différentes et des procédures administratives complexes. Cet enjeu majeur nécessite une compréhension approfondie des mécanismes juridiques en place pour protéger les droits des travailleurs dans un contexte transnational. Examinons les principaux aspects de cette problématique et les recours dont disposent les employés.
Le cadre juridique européen en matière de licenciements collectifs
Le droit européen fournit un socle commun pour encadrer les licenciements collectifs dans les entreprises transfrontalières. La directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs constitue le texte de référence en la matière. Elle impose aux employeurs une obligation d’information et de consultation des représentants des travailleurs avant toute décision de licenciement collectif.
Concrètement, l’employeur doit notifier par écrit tout projet de licenciement collectif aux représentants des travailleurs. Cette notification doit contenir tous les renseignements utiles concernant le projet, notamment les motifs, le nombre de travailleurs concernés, la période envisagée pour procéder aux licenciements, et les critères de sélection des salariés à licencier.
La directive prévoit également une période de négociation entre l’employeur et les représentants des travailleurs, afin de trouver des solutions alternatives aux licenciements ou d’en atténuer les conséquences. Cette période ne peut être inférieure à 30 jours.
En outre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé dans plusieurs arrêts l’interprétation de cette directive. Elle a notamment jugé que la notion d’établissement, au sens de la directive, doit s’entendre comme l’entité à laquelle les travailleurs concernés sont rattachés pour l’exécution de leurs tâches, indépendamment de la structure juridique de l’entreprise.
Malgré ce cadre commun, des disparités subsistent entre les législations nationales, ce qui peut créer des situations complexes pour les salariés d’entreprises transfrontalières. Il est donc primordial pour ces derniers de bien connaître leurs droits spécifiques selon les pays concernés.
Les droits spécifiques des salariés en cas de transfert d’entreprise
Dans le cas particulier d’un transfert d’entreprise transfrontalier, les droits des salariés sont protégés par la directive 2001/23/CE. Cette directive vise à préserver les droits des travailleurs en cas de changement d’employeur résultant d’un transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’établissement.
Le principe fondamental posé par cette directive est le maintien des droits des travailleurs. Concrètement, cela signifie que :
- Les contrats de travail sont automatiquement transférés au nouvel employeur
- Les conditions de travail prévues par une convention collective doivent être maintenues
- L’ancienneté acquise chez le précédent employeur est préservée
La directive prévoit également une protection contre le licenciement motivé uniquement par le transfert. Toutefois, des licenciements peuvent intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi.
Dans le contexte transfrontalier, l’application de ces principes peut s’avérer complexe. La Cour de justice de l’Union européenne a dû intervenir à plusieurs reprises pour clarifier certains points. Par exemple, dans l’arrêt Collino et Chiappero (C-343/98), la Cour a précisé que le transfert d’une entité économique d’un État membre à un autre relève du champ d’application de la directive.
Il est à noter que la directive ne s’applique pas en cas de simple transfert d’actions ou de parts sociales. Pour bénéficier de la protection, il faut qu’il y ait un véritable transfert d’une entité économique maintenant son identité, c’est-à-dire un ensemble organisé de moyens permettant l’exercice d’une activité économique.
Les salariés doivent être particulièrement vigilants dans ces situations de transfert transfrontalier, car les différences entre les législations nationales peuvent avoir des impacts significatifs sur leurs droits.
La protection des créances salariales en cas d’insolvabilité de l’employeur
Lorsqu’une entreprise transfrontalière fait faillite, la question du paiement des salaires et autres créances des employés se pose avec acuité. La directive 2008/94/CE relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur vient apporter des garanties dans ce domaine.
Cette directive impose aux États membres de mettre en place des institutions de garantie chargées d’assurer le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail. En France, c’est l’AGS (Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés) qui remplit ce rôle.
Dans un contexte transfrontalier, la directive précise que c’est l’institution de garantie de l’État membre sur le territoire duquel les travailleurs exercent ou exerçaient habituellement leur travail qui est compétente pour le paiement des créances impayées.
Les créances couvertes par la garantie comprennent généralement :
- Les salaires impayés
- Les indemnités de préavis
- Les indemnités de licenciement
- Les congés payés
Toutefois, les États membres peuvent fixer des plafonds à la garantie accordée par l’institution compétente. Ces plafonds ne peuvent être inférieurs à un niveau socialement compatible avec l’objectif social de la directive.
La mise en œuvre de cette protection peut s’avérer complexe dans les situations transfrontalières, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer l’institution compétente ou d’appliquer les plafonds de garantie. Les salariés doivent être particulièrement attentifs à ces aspects et ne pas hésiter à solliciter l’aide de professionnels du droit pour faire valoir leurs droits.
Les recours juridiques à disposition des salariés
Face à la fermeture d’une entreprise transfrontalière, les salariés disposent de plusieurs voies de recours pour faire valoir leurs droits. Ces recours peuvent être exercés tant au niveau national qu’au niveau européen.
Au niveau national, les juridictions compétentes en matière de droit du travail (en France, les Conseils de Prud’hommes) peuvent être saisies pour contester un licenciement ou réclamer le paiement de créances salariales. Dans le cas d’entreprises transfrontalières, la question de la compétence juridictionnelle peut se poser. Le règlement Bruxelles I bis (règlement UE n°1215/2012) prévoit des règles spécifiques en matière de contrats individuels de travail. En principe, l’employeur domicilié dans un État membre peut être attrait devant les juridictions de l’État membre où le travailleur accomplit habituellement son travail.
Au niveau européen, plusieurs mécanismes peuvent être mobilisés :
- La procédure de question préjudicielle permet à une juridiction nationale de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour obtenir une interprétation du droit de l’UE
- Le réseau EURES (EURopean Employment Services) peut fournir des informations et une assistance aux travailleurs transfrontaliers
- Le médiateur européen peut être saisi en cas de mauvaise administration de la part des institutions européennes
Dans certains cas, des actions collectives peuvent être envisagées. Le règlement (UE) 2020/1784 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale facilite la conduite de procédures transfrontalières.
Il est à noter que les délais pour agir peuvent varier selon les pays et les types de recours. Il est donc crucial pour les salariés d’agir rapidement et de se faire conseiller par des professionnels du droit international du travail.
Perspectives et enjeux futurs pour la protection des salariés transfrontaliers
La protection des droits des salariés dans le contexte de fermetures d’entreprises transfrontalières reste un défi majeur pour l’Union européenne. Plusieurs pistes d’amélioration sont actuellement à l’étude ou en cours de mise en œuvre.
L’une des principales avancées récentes est l’adoption de la directive (UE) 2019/1152 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne. Cette directive, qui doit être transposée par les États membres au plus tard le 1er août 2022, vise à améliorer les conditions de travail en favorisant un emploi plus transparent et prévisible tout en assurant une capacité d’adaptation du marché du travail.
Par ailleurs, la Commission européenne a lancé une initiative pour la création d’une Autorité européenne du travail. Cette nouvelle agence de l’UE, opérationnelle depuis 2019, a pour mission de soutenir les États membres dans l’application du droit de l’UE dans les domaines de la mobilité de la main-d’œuvre et de la coordination de la sécurité sociale. Elle pourrait jouer un rôle clé dans la protection des droits des travailleurs transfrontaliers.
La question de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans le contexte transfrontalier est également au cœur des débats. Des réflexions sont en cours pour renforcer les obligations des entreprises en matière de respect des droits sociaux, notamment dans le cadre de leurs activités transfrontalières.
Enfin, le développement du télétravail transfrontalier, accéléré par la crise sanitaire, soulève de nouvelles questions juridiques. Des adaptations du cadre légal pourraient être nécessaires pour prendre en compte cette nouvelle réalité du travail.
Face à ces évolutions, les salariés d’entreprises transfrontalières doivent rester vigilants et informés de leurs droits. La complexité croissante des situations de travail transfrontalières nécessite une approche proactive et une connaissance approfondie des mécanismes de protection existants.
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