
La perception des redevances de voirie suscite régulièrement des contentieux entre les collectivités territoriales et les usagers du domaine public. Ces prélèvements, destinés à compenser l’occupation du domaine public, doivent respecter un cadre juridique strict. Pourtant, de nombreuses redevances sont instaurées en méconnaissance des principes fondamentaux du droit administratif. Face à cette situation, les contribuables disposent de recours spécifiques pour contester ces prélèvements indus. Ce guide juridique analyse les fondements légaux des redevances de voirie, identifie les cas d’illégitimité et présente les stratégies de contestation à la disposition des administrés confrontés à ces situations.
Cadre juridique des redevances de voirie : principes fondamentaux
Les redevances de voirie s’inscrivent dans un cadre juridique précis, défini principalement par le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) et le Code général des collectivités territoriales (CGCT). Ces prélèvements reposent sur un principe simple : toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d’une redevance, sauf exception légalement prévue.
L’article L.2125-1 du CG3P pose le principe selon lequel « toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique donne lieu au paiement d’une redevance ». Cette disposition constitue le fondement juridique principal des redevances de voirie. La jurisprudence administrative a progressivement précisé les contours de ce principe, notamment dans l’arrêt Société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes du Conseil d’État (CE, 16 mai 2011, n°317675), qui rappelle que la redevance doit tenir compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation.
Les redevances de voirie se distinguent des taxes par leur nature juridique. Contrairement aux taxes qui constituent des prélèvements obligatoires sans contrepartie directe, les redevances correspondent à un service rendu ou à un avantage particulier octroyé. Cette distinction est fondamentale car elle détermine le régime juridique applicable et les voies de recours ouvertes en cas de contestation.
Plusieurs types de redevances de voirie existent :
- Les redevances pour occupation permanente du domaine public (terrasses, kiosques)
- Les redevances pour occupation temporaire (échafaudages, bennes)
- Les redevances pour les réseaux (électricité, gaz, télécommunications)
- Les redevances pour les chantiers provisoires
Pour être légitimes, ces redevances doivent respecter plusieurs critères cumulatifs établis par la jurisprudence. L’arrêt Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement (CE, 21 septembre 2016, n°392245) a précisé que la redevance doit être proportionnée à l’avantage retiré par l’occupant. Elle ne doit pas être discriminatoire et doit tenir compte des caractéristiques spécifiques de l’occupation.
Le montant de la redevance est fixé par l’autorité compétente – généralement le conseil municipal pour les voiries communales – qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire encadré par les principes d’égalité et de proportionnalité. Ce montant doit refléter la valeur locative du bien occupé et l’avantage économique procuré à l’occupant, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans sa décision Société Orange France (CE, 31 juillet 2009, n°316534).
Identification des redevances de voirie illégitimes
Une redevance de voirie devient illégitime lorsqu’elle ne respecte pas les conditions posées par la loi et la jurisprudence. Plusieurs critères permettent d’identifier ces prélèvements contestables.
Premièrement, l’absence de fondement juridique constitue un motif majeur d’illégitimité. La Cour administrative d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 7 mars 2019 (n°16BX03428), a annulé une délibération instaurant une redevance qui ne se fondait sur aucun texte législatif ou réglementaire précis. Toute redevance doit être établie par une autorité compétente, dans le respect des procédures prévues, et sur un fondement juridique valable.
Deuxièmement, la disproportion manifeste entre le montant de la redevance et l’avantage retiré par l’occupant constitue un indice fort d’illégitimité. Le juge administratif contrôle cette proportionnalité, comme l’illustre la décision Société Orange (CE, 11 juillet 2007, n°269175), où le Conseil d’État a censuré une redevance dont le montant était manifestement disproportionné par rapport à l’avantage retiré par l’opérateur téléphonique.
Troisièmement, une redevance perçue en l’absence d’occupation effective du domaine public est nécessairement illégitime. Dans l’arrêt Société Sogeres (CE, 15 mai 2012, n°347171), le Conseil d’État a rappelé que la redevance ne peut être exigée que si l’occupation du domaine public est réelle et constatée.
Les vices de forme et de procédure
Les vices de forme et de procédure constituent des motifs fréquents d’illégitimité. Une redevance instaurée sans délibération préalable de l’assemblée délibérante compétente est entachée d’illégalité. De même, l’absence de publication ou d’affichage régulier de la délibération fixant la redevance peut entraîner son inopposabilité aux administrés.
La méconnaissance du principe d’égalité entre les usagers du domaine public représente un autre motif d’illégitimité. Une redevance qui traite différemment des situations comparables, sans justification objective, peut être censurée par le juge administratif. L’arrêt Société Pharmacie Lévy (CE, 10 mai 1974, n°88032) constitue une référence en la matière, le Conseil d’État y ayant sanctionné une différence de traitement injustifiée entre commerçants.
- Absence de délibération de l’organe délibérant compétent
- Défaut de publication ou d’affichage
- Non-respect des règles de calcul prévues par les textes spécifiques
- Incompétence de l’autorité ayant fixé la redevance
Les erreurs manifestes d’appréciation dans la fixation du montant de la redevance constituent un autre motif d’illégitimité. Le juge administratif exerce un contrôle restreint sur l’appréciation faite par l’administration, mais censure les erreurs manifestes. Ainsi, dans l’arrêt Société Outdoor (CE, 16 mai 2011, n°336060), le Conseil d’État a annulé une redevance dont le mode de calcul ne tenait pas compte des caractéristiques réelles de l’occupation.
La double imposition constitue un cas particulier d’illégitimité. Une collectivité ne peut percevoir deux redevances distinctes pour une même occupation du domaine public. La Cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 12 juillet 2018 (n°16LY03330), a sanctionné une commune qui faisait payer à la fois une redevance d’occupation du domaine public et une redevance pour travaux sur ce même domaine.
Procédures de contestation administrative des redevances illégitimes
La contestation d’une redevance de voirie illégitime peut emprunter plusieurs voies administratives avant tout recours contentieux. Ces démarches préalables sont souvent nécessaires et peuvent permettre de résoudre le litige sans intervention du juge.
Le recours gracieux constitue la première étape de toute contestation. Il s’agit d’une demande adressée à l’autorité qui a pris la décision d’instaurer ou de percevoir la redevance contestée. Ce recours doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision individuelle ou de la publication de l’acte réglementaire. Le recours doit exposer clairement les motifs de droit et de fait justifiant l’annulation ou la modification de la redevance.
La Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires peut être saisie dans certains cas, notamment lorsque la redevance s’apparente à une taxe déguisée. Cette commission rend un avis qui, bien que non contraignant, peut influencer la position de l’administration.
Stratégies de médiation et de négociation
La médiation administrative, instituée par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, offre une alternative intéressante. Le médiateur, tiers impartial, aide les parties à trouver une solution amiable à leur différend. Cette procédure présente l’avantage de la rapidité et de la confidentialité.
Le Défenseur des droits peut être saisi lorsque la contestation porte sur une discrimination ou une atteinte aux droits des usagers des services publics. Cette autorité indépendante dispose de pouvoirs d’investigation et peut formuler des recommandations à l’attention de l’administration concernée.
Pour maximiser les chances de succès lors de ces démarches administratives, il convient de :
- Réunir toutes les pièces justificatives (titres d’occupation, correspondances avec l’administration)
- Identifier précisément le fondement juridique de la contestation
- Formuler clairement les demandes (annulation, réduction, remboursement)
- Respecter scrupuleusement les délais de recours
Le recours hiérarchique, adressé au supérieur hiérarchique de l’autorité ayant pris la décision contestée, constitue une autre voie de contestation administrative. Dans le cas d’une redevance communale, ce recours peut être adressé au préfet, qui exerce le contrôle de légalité sur les actes des collectivités territoriales.
La demande de contrôle de légalité auprès du préfet représente une démarche spécifique. En vertu de l’article L.2131-8 du CGCT, toute personne lésée par un acte d’une collectivité territoriale peut demander au préfet d’exercer son contrôle de légalité. Si le préfet estime l’acte illégal, il peut déférer l’acte au tribunal administratif.
Ces procédures administratives présentent l’avantage d’être généralement gratuites et relativement rapides. Elles permettent souvent d’obtenir satisfaction sans recourir au juge, ce qui évite des procédures longues et coûteuses. Toutefois, elles ne suspendent pas les délais de recours contentieux, qu’il convient donc de préserver en cas d’échec de la démarche amiable.
Contentieux judiciaire : stratégies et jurisprudence
Lorsque les voies administratives n’aboutissent pas, le recours contentieux devant le juge administratif devient nécessaire. Plusieurs types de recours sont envisageables selon la situation et l’objectif poursuivi.
Le recours pour excès de pouvoir vise à obtenir l’annulation de l’acte instaurant la redevance illégitime (délibération, arrêté). Ce recours doit être intenté dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’acte. L’annulation prononcée par le juge a un effet rétroactif et erga omnes, c’est-à-dire qu’elle vaut pour tous et pas seulement pour le requérant.
Dans l’affaire SAS Carrefour Proximité France (CE, 31 mars 2014, n°374163), le Conseil d’État a annulé une délibération instaurant une redevance d’occupation du domaine public dont les critères de calcul étaient discriminatoires. Cette jurisprudence illustre l’efficacité du recours pour excès de pouvoir contre les redevances illégitimes.
Le recours de plein contentieux permet non seulement de contester la légalité de la redevance, mais aussi d’obtenir la restitution des sommes indûment versées. Ce recours est particulièrement adapté lorsque la redevance a déjà été acquittée. Le juge dispose alors de pouvoirs étendus et peut réformer la décision contestée.
Référés et procédures d’urgence
Les procédures d’urgence offrent des moyens rapides de contester une redevance illégitime. Le référé-suspension (article L.521-1 du Code de justice administrative) permet d’obtenir la suspension de l’exécution d’une décision administrative lorsqu’il existe un doute sérieux quant à sa légalité et une situation d’urgence.
Dans une affaire jugée par le Tribunal administratif de Paris (TA Paris, 12 janvier 2018, n°1719582/9), le juge des référés a suspendu l’exécution d’une délibération instaurant une redevance manifestement disproportionnée pour l’occupation du domaine public par des terrasses.
Le référé-liberté (article L.521-2 du CJA) peut être utilisé lorsque la redevance illégitime porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, comme la liberté du commerce et de l’industrie. Cette procédure permet d’obtenir une décision dans un délai de 48 heures.
La jurisprudence a progressivement défini les contours de l’illégitimité des redevances de voirie. Plusieurs décisions marquantes méritent d’être citées :
- L’arrêt Commune de Moulins (CE, 31 juillet 2009, n°320522) sur la proportionnalité de la redevance
- L’arrêt Société AVENIR (CE, 6 décembre 2013, n°370062) sur le calcul des redevances publicitaires
- L’arrêt Société Orange France (CE, 18 mars 2015, n°372321) sur les redevances d’occupation du domaine public par les opérateurs de télécommunications
Ces décisions constituent des précédents utiles pour étayer une argumentation juridique dans le cadre d’un recours contentieux.
La charge de la preuve joue un rôle déterminant dans ces contentieux. Si le principe veut que le demandeur prouve les faits qu’il allègue, la jurisprudence a parfois opéré un renversement de la charge de la preuve en matière de redevances publiques. Ainsi, dans l’arrêt Société Générale (CE, 10 février 2016, n°384299), le Conseil d’État a jugé que l’administration devait justifier du bien-fondé de la redevance qu’elle percevait.
Stratégies préventives et défensives face aux redevances contestables
Pour les usagers du domaine public, adopter une posture préventive peut éviter bien des désagréments liés aux redevances illégitimes. Cette approche proactive repose sur plusieurs piliers.
La veille juridique constitue un premier rempart. Suivre régulièrement les délibérations des collectivités territoriales concernant les redevances d’occupation du domaine public permet d’anticiper les problèmes. Les sites internet des collectivités, les bulletins officiels et les recueils d’actes administratifs constituent des sources précieuses d’information. Cette vigilance permet d’agir rapidement, dans les délais de recours, contre toute délibération instaurant une redevance potentiellement illégitime.
L’analyse préalable de tout titre d’occupation du domaine public s’avère fondamentale. Avant de signer une convention ou d’accepter une autorisation d’occupation temporaire (AOT), il convient d’examiner attentivement les clauses relatives aux redevances. Cette analyse permet d’identifier d’éventuelles clauses abusives ou disproportionnées et de les contester avant même que la redevance ne soit due.
Documentation et conservation des preuves
La constitution d’un dossier solide représente une démarche essentielle. Conserver systématiquement :
- Les titres d’occupation du domaine public (arrêtés, conventions)
- Les correspondances avec l’administration
- Les factures et avis de paiement
- Les preuves de paiement des redevances
- Les photographies des lieux occupés
Ces documents constituent des preuves précieuses en cas de contestation ultérieure. La jurisprudence montre que les litiges sont souvent tranchés en faveur de la partie qui dispose de la documentation la plus complète et la plus précise.
Le dialogue préventif avec l’administration représente une stratégie efficace. Solliciter des explications sur le mode de calcul de la redevance avant même de la contester formellement peut permettre de résoudre certains malentendus. Ce dialogue peut prendre la forme de demandes écrites d’information ou de rendez-vous avec les services compétents.
Dans l’affaire Société Outdoor (CAA Paris, 7 novembre 2017, n°16PA01719), la cour a relevé que l’entreprise avait tenté à plusieurs reprises d’obtenir des explications sur le calcul de la redevance avant d’engager un recours contentieux, ce qui a joué en sa faveur.
La mutualisation des recours constitue une stratégie défensive efficace. Les usagers confrontés à des redevances similaires peuvent s’organiser collectivement pour contester ces prélèvements. Cette approche présente plusieurs avantages :
Elle permet de partager les frais de procédure et d’expertise, elle renforce le poids de la contestation face à l’administration, et elle facilite l’échange d’informations et d’arguments juridiques. Les organisations professionnelles (syndicats de commerçants, fédérations professionnelles) jouent souvent un rôle moteur dans ces actions collectives.
L’expertise juridique préventive représente un investissement judicieux. Consulter un avocat spécialisé en droit administratif avant de s’engager dans l’occupation du domaine public permet d’anticiper les risques liés aux redevances. Cette expertise peut également être mobilisée pour analyser la légalité d’une redevance existante et déterminer l’opportunité d’une contestation.
Perspectives d’évolution et recommandations pratiques
Le régime juridique des redevances de voirie connaît des évolutions significatives sous l’influence conjuguée de la jurisprudence, des réformes législatives et des transformations économiques. Ces dynamiques dessinent de nouvelles perspectives pour les usagers du domaine public.
La numérisation croissante des procédures administratives impacte directement la gestion des redevances de voirie. De nombreuses collectivités développent des plateformes en ligne permettant aux usagers de déclarer leurs occupations du domaine public, de calculer les redevances applicables et de procéder au paiement. Cette dématérialisation accroît la transparence et facilite le contrôle par les usagers de la légitimité des sommes réclamées.
La Cour de justice de l’Union européenne influence progressivement le droit national des redevances d’occupation du domaine public. Dans l’arrêt Promoimpresa (CJUE, 14 juillet 2016, C-458/14), la Cour a jugé que les autorisations d’occupation du domaine public à caractère économique devaient faire l’objet d’une procédure de sélection impartiale et transparente. Cette jurisprudence pourrait conduire à une refonte des modalités d’attribution des titres d’occupation et, par voie de conséquence, des redevances associées.
Recommandations pratiques pour les usagers
Face à ces évolutions, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées à l’attention des usagers du domaine public :
- Anticiper les demandes d’occupation du domaine public pour disposer du temps nécessaire à l’analyse des redevances applicables
- Comparer les pratiques tarifaires entre différentes collectivités pour identifier d’éventuelles anomalies
- Solliciter systématiquement un échéancier détaillé des redevances avant toute occupation
- Privilégier les échanges écrits avec l’administration pour constituer un dossier probant
L’harmonisation des pratiques constitue un enjeu majeur pour les années à venir. La disparité des redevances entre collectivités territoriales crée des situations d’inégalité et nourrit le contentieux. Plusieurs initiatives visent à promouvoir des référentiels communs pour le calcul des redevances, comme le guide publié par l’Association des Maires de France.
La jurisprudence devrait continuer à préciser les contours de la légitimité des redevances. Plusieurs questions restent en suspens, notamment concernant l’impact des considérations environnementales sur le calcul des redevances ou l’articulation entre redevances d’occupation et fiscalité locale.
Le développement de nouveaux usages du domaine public (mobilités partagées, installations éphémères, événementiel urbain) pose la question de l’adaptation des régimes de redevances. Ces usages innovants, souvent portés par l’économie collaborative, ne s’intègrent pas toujours facilement dans les catégories juridiques traditionnelles.
La médiation devrait jouer un rôle croissant dans la résolution des litiges relatifs aux redevances de voirie. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a généralisé la médiation préalable obligatoire dans certains contentieux administratifs, une tendance qui pourrait s’étendre aux litiges concernant les redevances d’occupation du domaine public.
Pour les collectivités territoriales, l’enjeu consiste à concilier la valorisation de leur patrimoine avec la sécurité juridique des redevances perçues. L’élaboration de chartes de bonne conduite ou de référentiels méthodologiques pour la fixation des redevances pourrait contribuer à prévenir les contentieux et à garantir la légitimité des prélèvements.
En définitive, la problématique des redevances de voirie illégitimes s’inscrit dans une tension permanente entre les impératifs de valorisation du domaine public et les principes de proportionnalité et d’égalité qui s’imposent à l’administration. La vigilance des usagers, combinée à l’évolution du cadre juridique, devrait favoriser l’émergence de pratiques plus transparentes et plus équitables dans la gestion de ces prélèvements.
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